- INDUSTRIE - Les relations industrielles
- INDUSTRIE - Les relations industriellesL’action des syndicats peut se situer à trois niveaux: défense des salariés au travail et lutte pour l’amélioration de leurs conditions de travail et de rémunération; à l’autre extrémité, action collective pour la transformation du mode de gestion de l’économie et en particulier pour l’instauration d’un régime socialiste; entre les deux: «Négociation avec les employeurs dans le but d’établir les termes et les conditions dans lesquels leurs membres seront employés» (F. Petersen, Survey of Labor Economics , 1951, p. 541). Ce niveau intermédiaire d’action est nommé: relations industrielles, terme auquel un certain nombre d’auteurs français préfèrent celui de «relations».Les relations industrielles consistent en négociations organisées entre une ou plusieurs organisations représentant les salariés et une entreprise ou un syndicat d’employeurs, négociations dont l’objet n’est pas seulement de traiter des revendications effectivement exprimées, mais de définir des règles générales du traitement des litiges et conflits. Pour le sociologue, les relations industrielles sont l’institutionnalisation du conflit entre employeurs et salariés dans le cadre de relations et négociations directes entre les parties. L’expression a donc un usage précis et en particulier ne peut pas être employée dans les deux cas suivants: d’une part lorsqu’un accord met fin à un conflit sans prévoir ou utiliser des formes constitutionnelles de négociation; d’autre part lorsque des organismes mixtes ou paritaires sont créés pour examiner des problèmes d’intérêt commun, voire même pour prendre des décisions dans certains domaines de la vie technique, économique ou sociale de l’entreprise.On ne peut parler de relations industrielles qu’à deux conditions: que soit reconnue l’existence d’intérêts divergents ou conflictuels entre les parties; que leur négociation vise à établir des règles et des procédures de traitement des différends ou des revendications individuelles ou bien collectives.Dans certains pays, les relations industrielles apparaissent comme la raison d’être des syndicats; dans d’autres au contraire elles ne sont considérées par ceux-ci que comme un élément d’une stratégie visant à l’élimination de l’adversaire. Mais dans tous les pays où est reconnue l’existence de syndicats libres de salariés et où les dirigeants des entreprises sont juridiquement responsables de leur gestion devant les seuls propriétaires, les syndicats ouvriers reconnaissent comme un aspect ou une étape importante de leur activité l’établissement de négociations collectives. Le développement des relations industrielles et donc des négociations collectives qui les orientent est un fait majeur de l’histoire sociale des pays capitalistes depuis le début du siècle. On s’interrogera donc sur les raisons de cette importance croissante, les formes des relations industrielles dans divers types de sociétés, leurs limites.1. Le développement des relations industriellesL’évolution de l’entrepriseLes négociations collectives se sont développées à mesure que progressait l’organisation du travail dans l’entreprise, donc les éléments internes de détermination des conditions de travail et de rémunération. Une activité économique dans laquelle existe une forte «autonomie professionnelle» et où les effets du marché et de ses fluctuations se font directement sentir peut connaître des discussions de salaires, violentes ou pacifiques, organisées ou non; il est probable qu’elle verra difficilement s’installer une véritable institutionnalisation du conflit, puisque rien ne vient s’interposer entre ces demandes des «travailleurs productifs» et la politique ou la situation économiques de l’entreprise.C’est au contraire à partir du moment où l’organisation du travail fait apparaître l’importance de décisions internes, concernant la qualification, la promotion, les cadences de travail, la hiérarchie des postes et des rémunérations que des négociations au niveau de l’entreprise ou d’un ensemble d’entreprises peuvent avoir un contenu plus général qu’un accord de salaire. Il n’existe de relations industrielles que lorsque le pouvoir patronal se manifeste par des décisions organisationnelles, où l’entreprise est plus qu’un lieu de louage de travail. À un autre niveau, les relations industrielles se développent dans la mesure où des entreprises rencontrent des problèmes généraux d’organisation économique allant au-delà des effets de la conjoncture. C’est ainsi que l’industrie textile française, en particulier dans le Nord, confrontée à des problèmes fondamentaux de transformation, de regroupement d’entreprises, de modernisation, a joué un rôle pionnier dans le développement des relations industrielles après la loi de 1950. De leur côté, plusieurs grandes entreprises automobiles – Renault, Peugeot, Berliet –, placées dans une perspective économique favorable, ont voulu organiser leurs relations industrielles comme une partie d’une programmation plus générale. Dans un cas comme dans l’autre, le souci de l’organisation l’emporte sur celui de l’adaptation aux fluctuations de l’activité économique.Mais cette importance croissante des problèmes organisationnels s’est souvent traduite d’abord, du côté patronal, par la recherche de meilleures «relations humaines» ne reposant pas sur la reconnaissance du conflit économique et de la nécessité de le négocier. À la suite en particulier des travaux d’Elton Mayo et de son école, un mouvement s’est développé, surtout dans les années cinquante, visant à la recherche de la «paix industrielle» par un traitement plus attentif des relations d’autorité, des communications entre individus, groupes et services, de l’information, des conditions de travail, etc.Un des aspects les plus caractéristiques de ces méthodes est d’accorder une importance primordiale à la maîtrise, c’est-à-dire à la catégorie qui ne s’identifie simplement ni à la direction ni aux ouvriers, puisqu’elle se trouve entre les deux.Autant ces méthodes ont pu apporter dans certains domaines limités des résultats non négligeables, autant elles ont échoué dans la mesure où elles voulaient éviter la reconnaissance du conflit et la nécessité de négociations directes avec l’organisation syndicale.L’existence de relations industrielles suppose la reconnaissance et du conflit d’intérêts et du rôle du syndicat, et s’est donc souvent heurtée à une forte résistance patronale.Aussi leur développement apparaît-il lié à une phase plus avancée de la transformation des entreprises. Plus celles-ci dépendent dans leur développement de leur capacité de prévoir, de combiner, de calculer, moins les conflits fondamentaux de la société se situent au niveau de la rencontre directe du capital et du travail. La recherche de nouveaux produits et de nouveaux marchés, l’emploi de méthodes d’information et de décisions économiques ont une importance si grande dans l’industrie moderne que les relations économiques entre les salariés et l’entreprise, sans nullement cesser d’être conflictuelles, occupent une position à mi-chemin entre les décisions économiques fondamentales et les problèmes organisationnels. C’est à ce niveau intermédiaire que se situent les relations industrielles qui combinent conflits économiques et problèmes organisationnels. Elles ne se situent jamais directement au niveau du pouvoir économique. Si celui-ci s’exerce directement dans l’entreprise et si la capacité d’action des capitalistes dépend avant tout du taux de profit qu’ils prélèvent, les relations industrielles ne parviennent que difficilement à s’installer dans l’entreprise.Si, au contraire, le centre du pouvoir se déplace vers de grands groupes industriels et financiers, dont les décisions sont de moins en moins séparées de la politique économique de l’État, l’entreprise devient le lieu où peuvent s’établir des négociations collectives et où le conflit industriel peut être dans une large mesure institutionnalisé.Dans une économie en forte croissance, où la concentration du pouvoir économique, la concurrence entre firmes multinationales et l’importance des méthodes de décision et de gestion sont des faits essentiels, la lutte économique entre employeurs et salariés, sans cesser d’être vive, cesse souvent de mettre en cause les structures économiques fondamentales. La grande industrie moderne a de puissantes capacités économiques de négociation et ses salariés peuvent de moins en moins apparaître comme les catégories les plus sous-privilégiées; la sécurité de leur emploi augmente, leurs salaires s’élèvent et l’organisation des entreprises élimine un certain nombre des aspects les plus archaïques des relations d’autorité. Que dans de nombreux secteurs les conditions de travail restent très pénibles, l’exercice de l’autorité très arbitraire ne suffit pas à empêcher la croissante institutionnalisation des conflits du travail. Les nouvelles revendications qui apparaissent dans les secteurs les plus modernes ne s’opposent pas au progrès des relations industrielles et s’efforcent plutôt d’aller au-delà des négociations et de définir de nouveaux buts au mouvement ouvrier.L’évolution du syndicatSous des formes diverses, et surtout à des vitesses très différentes, le syndicalisme des principaux pays capitalistes est passé par trois phases. D’abord une lutte économique directe dans laquelle la revendication économique – souvent menée par des corps de métiers – se lie souvent à des objectifs sociaux et politiques généraux. Ensuite, une période d’intervention étatique, suscitée par le poids croissant des votes ouvriers dans la vie politique. Enfin, l’établissement de relations industrielles.Il est rare que celles-ci ne se soient pas développées à la suite d’une période d’intervention étatique. Le cas français semble ici extrême puisque en 1919, en 1936, en 1945 et en 1968 l’État a joué un rôle décisif dans l’établissement de nouvelles modalités de relations industrielles, et que ni en 1936, au moment des accords Matignon, ni en 1968, lors des accords de Grenelle, il n’y eut de face à face entre employeurs et salariés et que c’est le chef du gouvernement qui conduisit les négociations et imposa certaines mesures. Mais l’origine du système américain actuel de négociations collectives n’est pas différente, et le rôle de l’État, pendant la période du New Deal, non seulement par le Wagner Act mais par le fonctionnement du Bureau national des relations industrielles (National Labor Relations Board), fut décisif pour le renforcement du pouvoir de négociation syndical et la généralisation des conventions collectives. Même en Suède, c’est l’arrivée au pouvoir d’une majorité socialiste en 1932 et un certain nombre d’initiatives législatives qui précipitèrent la conclusion des accords fondamentaux entre la Lands Organisation (L.O.) et la S.A.F. (organisme d’employeurs), à Saltsjöbaden en 1938. En Argentine ou au Brésil, c’est l’intervention de l’État qui permit de desserrer l’étreinte à la fois autoritaire et paternaliste des capitalistes sur les salariés et d’introduire des conventions collectives. En Angleterre même, où la tendance à la négociation collective s’est marquée très tôt, on ne peut oublier le rôle décisif des lois sociales passées entre 1871 et 1875. Si l’intervention de l’État a souvent aidé au renforcement des syndicats, celui-ci, en retour, a fortement contribué à l’organisation professionnelle des employeurs, qui doit aussi beaucoup à la nécessité croissante de négocier avec l’État.L’institutionnalisation du conflit n’est pas venue de l’initiative patronale, mais, en règle générale, du renforcement de la capacité de pression syndicale. Les pays où le système de relations industrielles est le plus développé sont ceux où la puissance syndicale est la plus grande, le nombre des syndiqués plus élevé, au moins dans les secteurs considérés, comme en Grande-Bretagne et en Suède, en Allemagne et aux États-Unis. La faiblesse et les divisions du syndicalisme français, en particulier dans les secteurs les plus importants de l’industrie privée, vont de pair avec l’absence constante dans ce pays d’un véritable système de négociations collectives; la même remarque s’applique à l’Italie, mais de manière plus limitée, les organisations syndicales y étant plus puissantes qu’en France.Le retard françaisLe syndicalisme français fut marqué à ses débuts par la répression de la Commune, et par la faiblesse relative du capitalisme industriel, largement dominé par le capitalisme financier et souvent enfermé d’autre part dans l’esprit aristocratique des dynasties familiales. La grande poussée industrielle de la fin du siècle, la proximité d’une économie dominée par l’agriculture, l’artisanat et le petit commerce expliquent la force du syndicalisme révolutionnaire qui, organisé pour la lutte des classes, veut en effet un affrontement direct avec les employeurs en rejetant l’action parlementaire, mais est beaucoup trop faible pour pouvoir songer à une institutionnalisation des conflits industriels.Après la retombée de ce mouvement, le syndicalisme fut de plus en plus marqué par l’influence des fonctionnaires et des salariés du secteur public en général. La grande industrie resta faiblement organisée.C’est pendant la guerre de 1914-1918 que le gouvernement, qui réprime l’action syndicale et interdit les grèves, comme dans la plupart des pays belligérants, s’efforce de créer un système de consultations mixtes, capable de traiter, dans un cadre très limité, certaines revendications des salariés.Les relations entre employeurs et salariés prennent donc presque toutes les formes sauf celle des relations industrielles, c’est-à-dire de la discussion collective des conflits du travail. C’est seulement le 25 mars 1919 qu’est passée la première loi sur les conventions collectives, qui entraîne dans les deux années suivantes la signature de nombreux accords. Mais le mouvement est de courte durée. Ce ne sont pas les grandes grèves souvent révolutionnaires de cette période qui en marquent la fin, puisque c’est au moment où elles sont le plus nombreuses que sont signées les conventions, mais bien la réaction patronale au cours des années suivantes. Au début des années trente, les conventions collectives ont pratiquement disparu. Le syndicalisme, de son côté, est partagé entre une tendance réformiste, surtout forte dans le secteur public, et une tendance révolutionnaire, faible, divisée et qui refuse tout ce qui évoque pour elle la «collaboration de classes».Le Front populaire et l’important mouvement de grèves que sa victoire déclenche conduisent aux accords Matignon, considérés comme un diktat par le patronat et comme une grande victoire par les ouvriers. Victoire, en effet, mais de courte durée. À la différence des États-Unis au même moment, la France ne parvient pas à installer un système institutionnel de négociations. La réaction patronale est vive; le syndicalisme sort épuisé de la longue grève de 1938 et l’approche de la guerre accentue les divisions politiques.Après la guerre et jusqu’en 1950, le gouvernement fixe, comme dans d’autres pays, les salaires. Mais il met déjà en place des éléments importants d’un système de relations industrielles. Non seulement il crée en 1945 les comités d’entreprise, mais il fait intervenir en décembre 1946 la commission supérieure des conventions collectives, organisme favorable aux salariés de par sa composition, et il encourage en 1947 l’accord du Palais-Royal entre le patronat et la C.G.T., véritable négociation collective.Ce qui limite les relations industrielles pendant toute cette période c’est l’inflation. L’action syndicale ne vise qu’à obtenir des augmentations de salaires courant après celles des prix. Une des raisons principales du retour officiel aux négociations collectives, par la loi du 11 février 1950, sera la constatation que la fixation étatique des salaires entraîne une rigidité à la fois défavorable aux salariés et inflationniste. Néanmoins, pendant une longue période, le gouvernement opère par les deux méthodes, les relèvements du salaire minimum interprofessionnel garanti (S.M.I.G.) se répercutant sur l’ensemble des salaires jusqu’à ce que les progrès de la production renversent la situation et que les salaires soient davantage tirés par le haut que poussés d’en bas.C’est seulement à partir de la période 1952-1955 que le rapport salaires-prix commence à le céder en importance au rapport salaires-production.La France, entrée à moitié dans l’économie et l’organisation industrielles, a connu une longue période dominée par un capitalisme financier ou familial, moins soucieux de production et d’organisation que de spéculation ou d’héritage. Le monde ouvrier, lié à des secteurs pré- ou proto-industriels, a lui-même combattu globalement ce système industriel tandis que l’État offrait la sécurité et une carrière à un nombre important de salariés, mais sans leur reconnaître davantage la capacité de négocier leurs conditions de rémunération.2. Types de relations industriellesSociétés libéralesOn entend par sociétés libérales celles où le développement économique ne se heurte pas aux obstacles nés d’une structure sociale antérieure ou d’une domination étrangère et où les initiatives s’exercent dans un espace social faiblement organisé.Le cas américain est le plus important, et le Canada s’y rattache en très grande partie, ainsi que plusieurs pays de colonisation blanche du Commonwealth.Les caractères principaux du système américain de relations industrielles sont: prédominance de l’entreprise comme lieu de négociation, discussion des salaires réels, détail et rapidité des procédures, lien étroit entre les négociations collectives et le recours ouvrier, c’est-à-dire les revendications collectives et les revendications individuelles, puissance de négociation du syndicat. Le premier point appelle des réserves. Il existe quelques accords nationaux (céramique, anthracite, ascenseurs, papiers peints et, de plus en plus, chemins de fer) et surtout des accords locaux dans les industries peu concentrées comme le vêtement, la fourrure, la chapellerie, le bâtiment. Les teamsters (transporteurs) signent le plus souvent des accords régionaux. Les entreprises de papier et de pâte à papier de la côte Pacifique ont également signé après la guerre un accord de ce type qui eut un profond retentissement.Surtout dans les grandes industries se marque une tendance nette à des accords nationaux (automobile, sidérurgie, constructions navales, viande, marine de commerce).Néanmoins, aux États-Unis, les relations industrielles sont plus nettement centrées sur l’entreprise que dans la plupart des pays industriels importants.Même si les accords de salaire sont souvent négociés en fait au niveau national, le fait essentiel est que les conventions collectives sont si élaborées et précises qu’elles mettent en action des procédures d’application à l’intérieur de l’entreprise.Ceci a progressivement réduit l’importance et l’autonomie des systèmes de participation non conflictuelle de l’entreprise. Après la première guerre, dans les dernières années de Samuel Gompers, l’American Federation of Labor, se convertissant aux méthodes de rationalisation industrielle, accepta et parfois encouragea des méthodes associant la rémunération aux résultats économiques de l’entreprise.Mais le développement de la puissance syndicale, après la création du Congress of Industrial Organizations (C.I.O.) et l’intervention du National Labor Relations Board (N.L.R.B.), conduisit les syndicats à combattre de plus en plus nettement ces méthodes et à affirmer que l’examen de tous les problèmes sociaux de l’entreprise devait se faire directement par le canal syndical et par les moyens définis dans la convention collective.Les revendications individuelles, qui en France sont traitées par les conseils de prud’hommes, sont examinées à plusieurs niveaux et finalement soumises à la décision d’un arbitre choisi par les deux parties. Le droit de regard syndical s’étend à toutes les décisions affectant le personnel et l’insistance sur l’ancienneté protège les ouvriers contre l’arbitraire patronal. Il n’est plus possible, aujourd’hui, aux États-Unis, d’opposer un syndicalisme d’affaires à un syndicalisme politique. L’essentiel de l’activité syndicale se situe à un niveau intermédiaire, car la défense des intérêts économiques des salariés n’est pas séparée d’un contrôle constant et efficace de l’autorité exercée à tous les niveaux de l’entreprise.Cela suppose que le syndicat exerce lui-même une autorité incontestée sur les salariés. Ceux-ci ne sont représentés que par une organisation. Si la loi Taft-Hartley, en 1947, a interdit le monopole syndical de l’embauche (closed shop ) et mis des conditions à l’union-shop et au prélèvement par l’entreprise des cotisations syndicales, dans la pratique, divers systèmes assurent au syndicat une grande représentativité.Parce qu’il est de plus en plus tourné vers l’entreprise, le syndicalisme américain a progressivement perdu son rôle politique et même la tendance modérée de W. Reuther et du syndicat de l’automobile United Automobile Workers (U.A.W.) est en recul. Au cours des années récentes, l’importance du mouvement noir, celle des problèmes liés à l’existence d’autres minorités (Mexicains-Américains, Portoricains...) comme l’importance du mouvement étudiant et celle des campagnes contre la guerre au Vietnam ont fortement accentué la perte d’influence politique du syndicalisme et son repli sur une défense professionnelle et économique qui lui donne un ton conservateur et parfois réactionnaire.Sociétés contractuellesLes sociétés contractuelles sont celles où l’intervention du pouvoir politique a joué un rôle important dans la transformation économique et sociale de pays aux prises avec de sérieux obstacles au développement.Dans ces sociétés triomphe l’orientation qu’on peut appeler travailliste en appliquant ce terme à la fois à la Grande-Bretagne, à la Scandinavie et à l’Allemagne à l’époque de Weimar ou de la République fédérale actuelle.Les relations industrielles ont ici des caractères généraux qui les opposent nettement au type américain: prédominance des négociations au niveau national, autonomie des organismes mixtes de consultation, importance du wage-drift (glissement des salaires), lien du syndicalisme et d’un mouvement politique.Les syndicats de ces pays sont extrêmement puissants: la Grande-Bretagne compte 9,5 millions de syndiqués dont plus de huit sont affiliés au Trade Union Congress (T.U.C.). En Suède, L.O. contrôle la très grande majorité des salaires de l’industrie. Le syndicat allemand de la métallurgie Industrial Gewerkschaft Metall (I. G. Metall) peut être considéré comme le plus puissant syndicat industriel des pays de type occidental (les Teamsters américains étant plus près d’une General Union de type anglais).Cette puissance et ce rôle politique expliquent que les négociations soient menées surtout au niveau national. Le cas le plus célèbre est celui de la Suède où de telles négociations ont lieu depuis 1938. Mais la contrepartie de ces négociations générales est l’importance du glissement des salaires au niveau des entreprises. Les syndicats interviennent dans ce glissement, aussi bien lorsqu’il s’agit de method drift c’est-à-dire des effets de la transformation professionnelle de l’entreprise que lorsqu’il s’agit d’un market drift . Une part importante de l’activité syndicale consiste donc à contrôler et encadrer les relations entre les négociations générales et les accords locaux dans la perspective d’une politique économique et sociale générale.Mais cela laisse souvent à l’intérieur de l’entreprise une large autonomie à des problèmes organisationnels dans lesquels les syndicats n’interviennent qu’indirectement.Cette différenciation est fortement marquée en Grande-Bretagne où le système des relations industrielles se compose de trois éléments: Joint Industrial Councils (conseils associés industriels), Statutary Wage Regulating Boards (tableaux statutaires pour la réglementation des salaires) et Joint Consultation Committees (conseils associés de consultation).De même, en Suède, les comités d’entreprise, créés en 1946, sont clairement définis par leurs buts économiques et professionnels. Ils doivent permettre la participation de tous au bon fonctionnement de l’entreprise et non véhiculer les revendications.Dans ces sociétés, les relations industrielles sont conçues comme la mise en œuvre de la démocratie industrielle qui étend au domaine économique les droits de citoyenneté d’abord obtenus sur le plan politique. L’Allemagne fédérale a été plus loin en ce sens que les autres pays, introduisant après la guerre, et en partie à l’initiative des autorités anglaises d’occupation, la cogestion dans les charbonnages et la sidérurgie. Un «directeur du travail», pratiquement nommé par les syndicats, fait partie de la direction collégiale de l’entreprise et les salariés sont représentés au conseil d’administration.Mais la vigueur du développement économique dans ces pays au cours des dernières décennies a, dans l’ensemble, conduit à un renforcement des pressions salariales directes. De nombreuses grèves sauvages, en particulier en Grande-Bretagne, ont porté atteinte à l’effort à la fois revendicatif et politique des organisations syndicales. Ces grèves peuvent être animées par des militants plus révolutionnaires que les responsables nationaux, mais elles tendent davantage à maximiser la pression revendicative qu’à organiser un mouvement d’opposition politique.Sociétés socialistesDans des sociétés où le pouvoir politique détermine les salaires et où les syndicats sont liés au parti communiste au pouvoir, il est difficile de rencontrer une situation correspondant à la définition, donnée supra , des relations industrielles. Il existe pourtant des conventions collectives, mais elles ne traitent pas des salaires. Elles se composent de deux éléments principaux: un préambule général qui se place au niveau des buts économiques et politiques de la société, et des dispositions particulières concernant des problèmes internes de l’organisation de l’entreprise, en particulier l’hygiène et la sécurité, la promotion professionnelle, etc.Mais il existe en fait un système réel de relations industrielles. Le syndicat exerce un pouvoir constant pour le maintien de l’emploi. Il s’efforce, comme le directeur de l’entreprise, de fixer des objectifs de production assez bas pour qu’ils puissent être dépassés. Il existe donc un jeu à trois et non à deux, dans lequel les autorités économiques centrales, la direction des entreprises et le syndicat local se lient ou s’opposent selon les circonstances. Le cas yougoslave est tout à fait particulier. L’autogestion des entreprises peut cependant être considérée comme une forme de relations industrielles. Il existe en effet un conflit d’intérêts entre, d’un côté, les forces centralisatrices, orientées vers des buts de production et groupées sous l’égide du parti communiste, auquel appartiennent la plupart des directeurs d’entreprises et les dirigeants économiques provinciaux et fédéraux, et, de l’autre côté, les conseils ouvriers ou les unités économiques, qui défendent davantage les intérêts ouvriers au niveau de l’entreprise ou de l’atelier.De tels conflits ont été plus visibles encore en Pologne, durant la brève existence des conseils ouvriers après 1956, et ont été une des causes de leur disparition, au moment où s’est marqué le retour au conservatisme et au centralisme politique et économique.Le cas françaisLe secteur privéLa situation industrielle française est marquée par l’opposition des organisations patronales à des négociations au niveau de l’entreprise, par la division des forces syndicales, par l’absence de négociation des salaires réels et par l’autonomie des organismes mixtes d’examen des problèmes internes de l’entreprise. Les conventions collectives françaises ne sont pas signées, par définition, au niveau de l’entreprise, mais le plus souvent à celui de la branche et de la région. On peut penser, avec F. Sellier, que ceci correspond à une stratégie patronale, mais il faut ajouter que les syndicats, et surtout Force ouvrière (F.O.), ont souvent exprimé leur méfiance à l’égard de négociations au niveau de l’entreprise. Leur faiblesse leur fait craindre l’intervention de syndicats-maison, qui ont en effet souvent été encouragés par l’industrie. Il existe cependant à côté des conventions collectives (elles-mêmes de deux types: conventions ordinaires et susceptibles d’être étendues), des accords d’établissement. Le plus important fut le premier accord Renault, négocié le 15 septembre 1955, au lendemain des longues grèves de Nantes et de Saint-Nazaire et qui fut imité – parfois avec des clauses et dans un esprit différents – par un certain nombre de grandes entreprises. On ne peut cependant considérer ces accords comme relevant intégralement des relations industrielles, car ils reposent davantage sur la volonté de l’entreprise d’organiser un système de détermination des salaires et des conditions de travail que sur une véritable institutionnalisation du conflit. La Confédération générale du travail (C.G.T.) n’a pas toujours signé les accords et il est arrivé que la Confédération française des travailleurs chrétiens (C.F.T.C.) retire sa signature. Malgré ces réticences syndicales, les accords ont souvent été maintenus par les entreprises. À la différence du cas américain, les conventions françaises pénètrent peu profondément dans le fonctionnement de l’entreprise. Non seulement parce que les taux conventionnels de salaires fixés sont souvent très éloignés des salaires réels, mais parce que les revendications individuelles sont traitées par les délégués du personnel qui, en théorie du moins, ne sont pas des représentants du syndicat, ou par les conseils de prud’hommes.Les comités d’entreprise, créés en 1945, furent, au début surtout, l’expression de deux courants opposés entre eux mais également éloignés de l’institutionnalisation des conflits: d’un côté, beaucoup voulurent en faire le lieu de la coopération de tous les membres de l’entreprise pour le «bien commun», conception qui cherchait à écarter les conflits industriels du champ d’activité des comités; de l’autre, la C.G.T., après la rupture politique de 1947, s’efforça à la fois de les maintenir sous son contrôle direct et surtout d’en faire un instrument au service de la lutte de classes et une barrière contre toute tentative de «collaboration de classes».Placés dans ce double rôle de gestionnaires des services sociaux et d’agents hétéronomes de la lutte des classes, les comités d’entreprise n’ont pas acquis une grande audience et surtout n’ont pas été un élément important dans le développement des relations industrielles. De même qu’en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, les syndicats en France ne reconnaissent pas d’autonomie aux organismes mixtes de participation à la gestion des entreprises. L’institutionnalisation des conflits ne peut passer que par le renforcement des syndicats et non par la recherche de terrains neutres entre employeurs et salariés.Les organisations les plus puissantes dans l’industrie, la C.G.T. en premier lieu et la Confédération française démocratique du travail (C.F.D.T.), sont favorables au renforcement des relations industrielles. Les négociations de Grenelle de mai 1968, même si elles n’ont pas mis fin aux grèves, ont préparé des transformations profondes dont la principale est la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise.L’industrie française semble engagée pour la première fois dans une phase de «contractualisation» des relations industrielles, mais la faiblesse des organisations syndicales lui rend difficile de triompher de la résistance de la plupart des employeurs.Le secteur publicSa situation est, par beaucoup d’aspects, proche du cas soviétique. La direction des entreprises n’a pas – en droit ou en fait – la possibilité de fixer les salaires. On ne peut donc parler de relations industrielles organisées. Il existe cependant des discussions à propos de l’évolution des prix et des salaires, qui ne sont pas sans effet sur la décision gouvernementale. Mais les syndicats se sont opposés avec beaucoup de vigueur aux «procédures Toutée» par lesquelles, après avoir fait le constat de la situation économique, le gouvernement fixait un pourcentage d’augmentation de la masse salariale globale.L’intervention des syndicats, si faible à ce niveau, est au contraire très importante à propos des problèmes intérieurs des entreprises. Définition des postes, promotions professionnelles, glissements catégoriels, primes diverses, horaires et conditions de travail, hygiène et sécurité: autant de problèmes traités par une pyramide de comités mixtes dont l’importance est considérable. Dans ces entreprises comme dans beaucoup de secteurs de la fonction publique, les syndicats sont très fortement implantés et possèdent souvent plus d’informations que les directions elles-mêmes; d’où leur réelle influence.La contradiction qui existe entre, d’une part, cette forte influence dans l’organisation professionnelle de l’entreprise et, d’autre part, l’absence de négociation véritable des salaires, et le fait que dans la période présente l’écart se creuse entre le secteur public et le secteur privé au profit des grandes entreprises privées expliquent la forte tension sociale qui règne dans le secteur public et qui s’est marquée par des grèves importantes dans les Charbonnages, les Postes, Électricité et Gaz de France (E.D.F.-G.D.F.), etc.L’Université représente un cas extrême où la gestion professionnelle est très largement contrôlée par les syndicats, tandis que le nombre très élevé des fonctionnaires de l’Éducation nationale rend extrêmement difficile une action revendicative des syndicats dans le domaine des rémunérations.3. Limites de l’institutionnalisation des conflitsÀ mesure que les centres de décision économique s’éloignent de l’entreprise proprement dite et se situent au niveau de groupes financiers ou industriels, ou d’une interaction entre ceux-ci et l’État, les relations industrielles tendent à la fois à devenir plus aisées et à couvrir un champ plus limité. Cela conduit à l’opposition de deux types de débordement.D’un côté, des groupes professionnels limités s’efforcent de profiter d’une situation favorable pour obtenir des avantages particuliers et supportent mal d’être inclus dans une unité de négociation plus vaste. De la même manière, dans une situation d’expansion, les salariés peuvent chercher à exercer la pression économique la plus forte et la plus directe possible, dans l’idée que les entreprises ont intérêt à ne pas voir la production interrompue et ont le moyen de transférer sur les consommateurs les effets d’une hausse des salaires. Les relations industrielles sont donc débordées par la revendication; des accords généraux apparaissent comme une entrave à la revendication.De l’autre côté, dans les industries de haut niveau technologique, se développe ce que S. Mallet a appelé la nouvelle classe ouvrière, faite de techniciens et d’ingénieurs, qui entendent intervenir au niveau des décisions affectant le développement et la politique de production de l’entreprise. Sous sa forme la plus avancée, cette pression s’exerce en faveur d’une autogestion. En mai-juin 1968, de telles revendications se sont exprimées avec force à la fois dans l’industrie privée et dans le secteur public. Elles ont été encouragées et animées par l’action étudiante qui, dans certaines de ses tendances au moins, visait à une autogestion de l’Université par les étudiants, les enseignants et les représentants d’intérêts populaires. Dans une perspective plus limitée, les rédacteurs de nombreuses publications, en France et à l’étranger, ont obtenu, par la création de sociétés de rédacteurs, une intervention directe dans la politique de leurs journaux ou magazines. Les conflits survenus à ce propos au Figaro ont attiré l’attention sur ce type de revendication.En France, le retard des relations industrielles explique l’importance des tendances qui visent à la fois à augmenter le pouvoir de négociation syndical et à dépasser le niveau des relations industrielles en direction d’un accès à la gestion. C’est à la C.F.D.T. surtout qu’on trouve cette volonté d’aller, dans le cadre de l’action syndicale elle-même, au-delà des relations industrielles, et de construire dans l’entreprise un pouvoir syndical qui se définisse, par conséquent, par la capacité de négocier, mais aussi par la mobilisation des travailleurs en faveur d’objectifs économiques et sociaux généraux. Cette tendance se renforce dans les périodes de désorganisation des forces politiques de gauche, comme 1958-1962 et 1968-1970. À l’inverse, la C.G.T. distingue plus nettement le domaine des relations industrielles et des négociations de salaires d’un côté, et le domaine de l’action politique, orientée surtout par le parti communiste et dont l’objectif principal est l’union des organisations politiques de gauche. L’organisation syndicale dont les dirigeants ont l’appartenance politique la plus claire est donc aussi celle qui accepte le plus aisément une perspective limitée de relations industrielles, visant des accords de salaires et restant très en deçà des demandes des syndicats américains ou allemands quant au contrôle de l’organisation professionnelle de l’entreprise.Il est difficile de nier que le développement des négociations collectives marque une réelle institutionnalisation des conflits autour desquels s’est organisé le mouvement ouvrier. Plus les entreprises élaborent une politique de croissance, plus elles sont aptes à négocier leurs rapports avec leurs salariés comme leurs relations avec tous les éléments de leur «environnement». Les relations industrielles aboutissent à isoler les problèmes touchant à la situation économique des salariés des problèmes sociaux et politiques généraux, et à les traiter de manière à la fois conflictuelle et «réaliste».Cette conclusion n’impose nullement d’affirmer que les sociétés industrielles avancées sont entrées dans une phase où les affrontements seraient remplacés par les négociations. Mais l’évolution des relations industrielles conduit à penser que ce n’est pas autour des conditions d’emploi et de rémunération des ouvriers des grosses entreprises que les affrontements et les mouvements sociaux qu’ils manifestent ont le plus de chances d’apparaître. C’est pourquoi on voit le mouvement ouvrier à la fois s’atténuer en groupe d’intérêt économique et se renouveler par la mise en cause de l’emprise des grands appareils de production sur l’ensemble de l’organisation sociale et de la vie culturelle.
Encyclopédie Universelle. 2012.